Menuisier, ébéniste, artiste ? L’un ou l’autre ou les trois à la fois… L’homme est étonnant.
Petit sourire, œil pétillant, il examine le bois.
Son regard s’attarde sur les cernes, les nervures, les accidents, les blessures du vieux chêne… pluie violente, soleil brûlant, il a tout connu, même la main de l’homme, sa scie, son rabot, sa varlope. Avec les années, les éléments ont eu raison d’une partie mais ce qui reste devient symbole et les présences qui en émergent deviennent des guides ou des gardiennes, mais de quoi ? Qu’en fera l’artisan ?
Le voilà qui prend une planche, l’approche de son visage, l’éloigne, on dirait qu’il lit en elle toute son histoire, plus de cent années s’égrènent l’espace d’un instant dans ses yeux. Puis il la pose, en prend une autre qu’il pose à côté, puis une troisième qu’il pose en travers, et il attend.
Il entend le murmure de la matière, attentif, il veut comprendre la pertinence de l’association des trois planches qu’il vient de poser en une composition qui l’interroge. Parce que l’homme aime être questionné par le bois, qu’il soit chêne, noyer, châtaignier ou peuplier, il aime l’écouter, le toucher, le sentir. C’est sa vie !
Les commandes arrivent, surprenantes ou classiques. Alors commence le métré, la prise de cotes et le plus beau : la rencontre avec ceux qui ont besoin d’un buffet, d’une commode, d’une cuisine ou d’une bibliothèque.
Ces rencontres se déroulent sous le signe du bois. L’artisan écoute s’énoncer le projet et son oreille attentive ouvre des portes. Il aime ces premiers espaces où l’imaginaire envahit la pièce. Les clients se racontent : voyages, coups de cœur, envies. Déjà dans sa tête naissent des images, des odeurs, des musiques. De tous ces matériaux, le menuisier-ébéniste-artiste en pétrira la substance jusqu’à en faire surgir un assemblage unique d’essences, de formes, écho imprévisible de la demande des clients.
La création de l’objet passe par des voies étonnantes : échanges de photos, de musiques, de mots, de silences, et se ponctue de longs moments où l’artiste laisse chuchoter le bois dans son atelier ou sous les étoiles.
C’est ainsi que l’atelier devient un centre alchimique, là où la volonté de faire se laisse emmener par l’esprit des lieux et des êtres qui se manifeste à petits pas, comme dans un jeu. Alors, le projet se forme, se déforme, s’informe dans le mouvement de l’acte.
Puis un jour, l’artisan arrive et monte le meuble, né de cet assemblage d’idées, d’émotions, de sensations, fier de sa création. Les clients regarderont, comblés de voir réalisé le projet qu’il tenaient, sans le savoir, enfoui au fond d’eux- mêmes.
MC